Du tutoiement sur les réseaux sociaux

Je vais être honnête : un truc m’agace. Le vouvoiement sur les réseaux sociaux. Cette phrase peut être absurde mais elle ne l’est pas tant que ça. Dans la vraie vie, nous Français, on aime bien, quand on ne se connaît pas, mettre cette distance verbale, quitte à fustiger son interlocuteur qui glisserait un « tu » indélicat. Personnellement, ça m’arrive. Idem pour les Allemands avec leur « Sie », les Espagnols avec « usted ». Bref.

J’ai eu cette idée de post en voyant une conversation tourner au combat de poissonniers sur un thread Facebook (pléonasme), qui concernait la critique d’une photo, avec cette fameuse phrase « ouais, déjà on ne se connaît pas je ne vous permets pas de me tutoyer ! « .

Mes premiers « surfs » sur la toile datent de fin novembre 1997, soit 8 ans après la création du Web, dans le CDI de mon lycée. A l’époque, seule une certaine « elite » pouvait créer du contenu dans la toile, il fallait savoir les bases du HTML et se débrouiller avec un logiciels FTP, donc une certaine intelligence. C’était le bon temps, tu pouvais même avoir Thierry Lhermitte en prof pour qu’il t’explique tout ça (dire que je me suis débarrassée de ce CD :'( , je suis dépit) :

Mais quelque chose m’a frappée. Dans cet univers virtuel, les créateurs et ceux qui postaient dans des forums faisaient un peu comme partie d’une communauté. Rappelez-vous qu’à l’époque (pour ceux qui étaient nés, c’est un temps que les moins de 20 ans etc …), Internet était le support du projet Autoroutes de l’information et finalement, cet internet était une ideosphère qui devait réunir le monde. Pourquoi s’embêter avec un « vous », franchement, puisqu’on est tous copains ? C’était le bon temps, où les insultes envoyées étaient bon enfant, et faisaient rire.

Voici d’ailleurs un extrait d’un texte intéressant que je vous invite à lire, et qui donne une idée dans quoi on baignait à cette époque, et c’était vraiment ça (inutile de préciser que je suis tombée de haut, naïveté adolescente oblige) :

[…] Ensuite ce discours a pris une deuxième direction, parallèle de la première, consistant à valo­riser sur un mode quasi religieux le nouveau monde d’Internet. La forme rhétorique, complémentaire de la disqualification, est celle du prosélytisme. L’idée selon laquelle le réseau Internet pourrait bien servir à réaliser concrètement les vieux rêves de « conscience planétaire » du « New age », l’idéal d’une « unification universelle des consciences » ou encore la montée vers la « noosphère » chère à Teilhard de Chardin (jésuite et philosophe, qui inventa dans les années quarante la notion de « noosphère » et plaida pour une « collectivisation des consciences » à l’échelle planétaire), est devenue très populaire dans certains milieux proches de la « Toile ».

https://journals.openedition.org/ress/604

Du coup j’ai balancé une référence de la Netiquette. La Netiquette peu de gens savent ce que c’est pourtant ça date de 1994, et c’est un « contrat » (inclus dans les RFC du web) ou plutôt une charte des bonnes attitudes à avoir sur le Net. Rien de très officiel mais ça a été longtemps une référence à l’époque où le Net comptait 200 millions d’utilisateurs, et que le cadre était assez mal légiféré. Il est stipulé dans la discussion :

L’usage, dans les forums, veut qu’on utilise le tutoiement, c’est une pratique courante, bien que non généralisée sur l’ensemble des forums.

Tutoyer un inconnu sur internet, n’est pas considéré comme malpoli (encore que ça dépende du contexte et de l’usage qui règne sur le forum en question), alors que tutoyer un inconnu dans la rue, est beaucoup plus délicat (sauf rapports d’âges « favorables »)

Quand j’ai commencé à utiliser internet, il y a un paquet d’années, les articles sur la netiquette prévenait que le tutoiement ne devait pas être mal pris, que c’était l’usage le plus répandu. L’article, sans doute traduit de l’anglais, du coup, ne le mentionne pas.

Il serait quand même intéressant de traiter ce sujet, afin que les gens ne connaissant pas la nétiquette, et peu familiarisé avec l’usage des discussions sur internet, ne se sentent pas intimidés. Il ne faut pas confondre tutoiement et manque de respect. Le vouvoiement peut aussi être irrespectueux quand il est utilisé pour établir une distance.

Le tutoiement n’est bien sûr pas une obligation de la nétiquette, mais il n’est pas un comportement grossier, comme certains pourraient le penser. Internet aboli pas mal de frontières, quand on ignore l’âge, le sexe, et le statut social de la personne avec qui on discute, à bâtons rompus. ça vaut quand même le coup de le mentionner!

Wikipedia

Un bel exemple de jolie page des années 90 avec le règlement de Usenet.

Bien sur, dans les années qui suivirent, dans des cadres « formels » comme des lettres de motivation, je vouvoyais mais je n’ai jamais abordé sur les réseaux et IRC en « vous ».

Voilà un peu pourquoi ça me fait de la peine. D’autant plus que beaucoup de gens s’insultent bien comme il faut, tout en gardant le vouvoiement. Style, je t’insulte et te manque de respect, mais je reste polie.e, tavu. Paradoxal tout ça.

Personnellement, je vais être dure mais je le ressens tel, je trouve que le vous sur internet, de par mon vécu (23 années sur la Toile), a un retentissement condescendant et hypocrite, surtout quand on le voit suivi d’injures. Après, il y a une génération excusables de Boomers (la génération de mes parents, nés après-guerre qui ont donc 60-70 ans) qui sont arrivés dans les années 2000 et qui ne connaissaient pas les us et coutumes et pensent que le vouvoiement est donc de mise. Et je pense que de débarquement de gens méconnaissant ces principes, et la centralisation du net, tuant les communautés de passionnés, qui est à l’origine de cet abandon du « tu » qui nous était cher, à nous, premiers arrivés.

Donc ne m’en veux pas si je te tutoie, internaute, même si tu me vouvoies auparavant, car ce sont mes règles, mes repères, et si tu es respectueux je le serai aussi 😉 . Je garde le vous pour mes prospects (et encore !), mes conversations sur LinkedIn (réseau professionnel oblige, donc formel) ou les organismes-suceurs.

Ces organismes-suceurs-là

2 réflexions sur « Du tutoiement sur les réseaux sociaux »

  1. Bonjour. J’ai lu l’article car le sujet m’intéresse. Je suis de 1992, donc j’ai 31 ans, et le tutoiement de la part d’une personne qui ne me connaît pas me hérisse souvent le poil, que ce soit en «réel» ou en «virtuel». Je trouve que le vouvoiement pour marquer une certaine distance n’est pas irrespectueux mais une expression des limites, tout comme par exemple, je ne veux pas faire la bise à n’importe qui. Je vois plus souvent le tutoiement que le vouvoiement associé à des insultes et à la condescendance sur les réseaux sociaux, mais cela est logique puisque beaucoup de personnes (plus de la majorité à mon avis) emploient le tutoiement sur ces supports.

    1. Bonjour Lise, et merci pour ton commentaire. Ton point de vue est intéressant (désolée, je te tutoie, habitude oblige). Après, j’ai l’impression que c’est surtout une question d’entrée dans le « monde du web ». Comme je le dis dans l’article, tout le monde se tutoyait à l’époque, même à l’avènement du web 2.0 en 2007, sur les blogs. Le web était vraiment un espace à part, où la bienveillance était de mise, car les espaces étaient privés, bien modérés et surtout ANOMYMES, et en général on rejoignait des forums communautaires, qui parfois organisaient des rencontres IRL (et où on se rencontrait joyeusement en se claquant la bise), une époque où Internet voulait vraiment rassembler les gens, que plutôt les diviser (je pense par exemple aux petites communautés sur IRC). Je généralise dans ces propos, car tous les groupes n’étaient pas toujours bienveillants, mais dans la majorité des cas, c’était dans une bonne intention. Après, avec la démocratisation et l’usage fréquent des réseaux sociaux, cette tendance s’est vraiment inversée. Et plus personne n’utilise Internet comme palier pour se rencontrer, à part les sites de rencontres. C’est très dommage que cette philosophie ne soit plus d’actualité … les gens préfèrent rester devant leur écran, car c’est plus facile, en particulier avec l’usage des smartphones. Comme si les gens, en fin de compte, s’étaient coupés.

      Je pense que l’époque joue aussi, nous sommes englués dans une morosité due aux actualités qui tendent les gens, les divisent, et ne leur donne pas envie de se rapprocher. Il suffit de voir comment les utilisateurs s’auto-centrent sur leurs profils. Nous ne sommes plus dans une époque de rassemblement, mais une époque du « moi je », qui est très inquiétante. Mais c’est un autre sujet.

      De par mon expérience, c’est intéressant aussi car j’ai constaté de mon point de vue que les gens s’insultaient plus volontiers en se vouvoyant, après cela dépend des pages où on écrit, si c’est sur sa page perso ou un groupe lambda. ceci étant dit, si je replonge dans mes souvenirs, certains groupes IRC (les plus gros, donc difficilement modérables) étaient de vrais théâtres où les gens s’envoyaient des volées de mots en employant le tutoiement. En fait, ça dépend des circonstances.

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