Ces mots martèlent sans arrêt mon crâne, rien ne dure, personne n’est irremplaçable. Mon meilleur ami en est l’auteur original, voulant nous rassurer que la vie en était ainsi, tourmentée de rivières agitées, et que ces eaux se renouvellent sans arrêt.
Un samedi comme un autre, ma mère et ma sœur sont chez moi, nous savourons l’instant présent autour d’un apéritif, étais-je loin de me douter que la Grande Horloge tournait ? Elle tourne, tourne inlassablement, parfois d’une lenteur accablante, parfois d’une rapidité déconcertante. Et à ce moment, là, je n’entendais pas ce tic-tac effroyable. Un tic-tac qui allait bientôt s’arrêter pour quelqu’un.
Ces dernières années, j’ai vu beaucoup de gens partir, des horloges arrêtées, des amis, de la famille, des connaissances, beaucoup trop de départs qui vous mettent au pied du mur.
Rien ne dure.
Nous naissons, nous grandissons, nous évoluons, nous réussissons, nous échouons, nous vieillissons, nous mûrissons, nous expérimentons ce grand manège qu’est la Vie. Nous la chérissons, cette vie, parfois nous la maudissons. Nous nous exerçons à la chasse au Temps, ne voulant pas écouter les aiguilles qui parfois sont trop bruyantes ou trop silencieuses.
Parfois, nous profitons de l’Instant Présent, nous plaisantons, sommes dans la douceur d’un moment joyeux, et puis, d’une seconde à l’autre tout change. Une pause dans ma bulle, un SMS, la violence d’un message qui vous gifle comme jamais, et vous laisse KO, en état de choc. Appuyée contre le mur, les jambes coupées, assise par terre, appelant la clinique. Le cerveau ne répondant plus, le choc coupant les connexions du cerveau limbique.
Mon père venait de décéder.
Un état de non-retour, un état inaliénable, intransigeant, irrévocable. Le temps détruit tout. Rien ne sera plus comme avant. Pourtant, connaissant son âge, je commençais à me préparer à l’inéluctable. Mais en vérité, nous ne sommes jamais prêts.
Rien ne dure. Mais certaines personnes sont irremplaçables. Un parent, on en a qu’un dans la Vie. Parfois, en tant qu’enfant, on le chérit, on le maudit, on aurait volontiers échangé des places, je ne vais pas approfondir cette partie personnelle, le reste nous appartient à lui et moi. Mais on n’a qu’un père, tel qu’il est.
On se retrouve dans un torrent d’émotions, un cheminement du Deuil, ce Styx à traverser, et que je connaissais déjà … le choc, le déni, la colère, la dépression, l’acceptation, tout cela décuplé, le tout parsemé d’une lourde procédure administrative qu’on voudrait aussi courte que possible. On voudrait que tout soit une farce, une mauvaise blague de sa part. Mais non, il était bien parti, emportant avec lui une partie de moi.
On repasse en arrière le film de sa vie, on regarde des photos, des petits films où il était si vivant, un grand sourire aux lèvres. Quand je suis dans sa maison, je m’attends à le voir surgir, ravi « je t’ai préparé une daube ma puce, tu vas te ré-ga-ler !!! ».
On ne profite jamais assez de ces instants, pourtant si banals à priori … le regarder préparer de savoureux repas pour mieux les partager, regarder un film en sa compagnie car il adorait le cinéma, se promener au bord du lac … Il me disait « La vie est un beau film qui se termine mal. ». Il était nerveux de nature, mais si dénué d’anxiété, voyant les choses telles qu’elle étaient mais pas pire, et comme j’ai pu lui envier cette qualité de vivre la vie sans craindre le lendemain, faire des scénarios alambiqués qui font monter le rythme cardiaque et parsemer les nuits d’yeux grands ouverts. A la fin, nous sommes tous logés à la même enseigne, un aller sans retour, ticket simple.
On part, dénué de tout bien matériel, de tout argent, emportant avec soi ses actes, ses pensées, ses missions de vie. On ne laisse que le souvenir de sa présence, en bas, chez les vivants, qui se questionnent. Quand viendra « mon tour » ? Et que se passera-t-il quand la Faucheuse m’aura envoyée en voyage forcé ? Qu’emporterai-je ? Que laisserai-je ?
Je voudrais que l’Univers / Dieu / whatever m’aide à trouver ce Chemin de Vie qui pourra me permettre de donner le meilleur de moi-même, me dire, oui la vie est un beau film qui se terminera mal pour ceux et celles qui m’auront aimée. Je voudrais continuer à frissonner en urbex, donner du positif aux gens, que la vie me donne ce dont j’ai besoin mais pas plus, me retrouver prête à enfin rencontrer l’Amour qui me correspond, voyager, découvrir, expérimenter. Devenir sage et spirituelle, une bonne personne qui toutefois sait dire ses limites, relativiser, prendre du recul. Réaliser par exemple que remplir sa déclaration d’impôts ne vaut pas quinze nuits blanches.
Juste de quoi me dire, à ma dernière seconde « c’était quand même un bon film ».
Nous sommes dans une Société qui veut que nous ayons peur de la Mort, quitte à bannir ce mot des réseaux sociaux …
Nous voulons tant la chasser, provocant des hystéries collectives, des folies générales et protections fallacieuses : « Nous sommes en guerre !!! La Mort tue !!! ».
Parce qu’Elle est là, et fait partie de la Vie. Elle viendra quand même un jour arrêter votre Montre, non pas votre dernière « Smartwatch » qui finira à la poubelle dans 5 ans ou sera dérobée par un individu sans scrupule, mais celle qui vous accompagne depuis toujours, la Votre, qu’on ne pourra jamais voler.
Rien ne dure.